Terre Thaumaturge
Les urgences d’un CHU. L’interne de garde vous examine, et vous pose la
question: “de quand date votre dernier rappel contre le tétanos?”. La couleur pastel de sa
blouse vous distrait? Vous ne parvenez pas à vous concentrer, pour l’effort de mémoire
requis de vous. Évoquer un boudoir Régence ne vous aide aucunement. Était-ce il y a
huit ans? Un peu plus de 13 ans? Vous lui avouez enfin votre trouble, le flou de votre
esprit.
Il vous informe, un peu sèchement et comme s’il récitait une leçon, des
conséquences de cet oubli. Charybde: “si la vaccination est périmée, vous risquez
l’agonie atroce d’un patient atteint du tétanos” (qu’impitoyable, il vous décrit à grands
traits). Scylla: “le rappel de vaccin peut, suivant la date de l’inoculation précédente,
déclencher un choc anaphylactique aussi brutal que désagréable.”
Tout ça, pour une blessure bien insignifiante sinon. Vous vous promeniez à la
campagne. Vous avez trébuché. Vous vous êtes étalé. Une plaie ouverte, maculée de
terre et, peut-être, d’un rien de fumier.
Maculée d’un peu de terre: de là vient le paradoxe. La terre nourricière, Gaïa la
déesse suprême dans la mythologie grecque, est une bonne mère. Comment la terre
peut-elle se muer en une sorcière, en une marâtre porteuse de germes terriblement
pathogènes, tels celui du tétanos?
Bactérie anaérobie du tube digestif de l’homme et des mammifères, les spores
du tétanos sont résistantes. Elle sécrète des toxines pathogènes : le tétanos—dont un
demi-million de personnes dans le monde sont atteintes chaque année—est transmis par
des lésions cutanées. Les muscles se tétanisent, et la mort peut s’ensuivre.
Mais Gaïa est aussi une gigantesque armoire à pharmacie. Que dis-je? Gaïa est
une gigantesque pharmacie, un hypermarché bourré des médicaments les plus divers, un
hypermarché élevé à la puissance de tout un département français.