Skip to content

Thème et Variations

Thème et Variations

J’avoue une prédilection pour la forme “thème et variations”, celle
d’un morceau de musique — mes préférées, parmi les oeuvres pour
clavier, sont les Variations Goldberg de J-S. Bach et Le peuple uni ne sera
jamais vaincu
de Frédéric Rzewszki — ou d’un texte littéraire — comme
les Exercices de style de Raymond Queneau, si brillants, si drôles aussi.
Comme on en jugera maintenant, ce goût a trouvé aussi à se
satisfaire dans mon métier. Je prends comme thème ici la polysémie de
n’importe quelle espèce chimique: cette locution pédante signifie qu’un
composé quelconque, cholestérol ou acide sulfurique, a une multiplicité
de sens; pas seulement pour les hommes de l’art, ce serait pousser le
bouchon de l’anthropomorphisme un peu loin; mais déjà vis-à-vis des
autres espèces chimiques que les molécules (de cholestérol ou d’acide
sulfurique) côtoient à l’échelle microscopique. Cette polysémie fait écho
à une métaphore, venue sous la plume de Francis Bacon à l’époque
élizabétaine. Il voulait exprimer toute la difficulté de la science
expérimentale à percer les secrets du monde physique, et il compara
pour ce faire la si changeante matière, au sein des matras ou des
creusets, au Dieu Protée de la mythologie grecque.
La substance protéiforme que je prendrai en exemple est NO — la
lettre N désigne un atome d’azote et la lettre O désigne un atome
d’oxygène —, épinglée en 1992 sur la couverture de l’hebdomadaire
Science comme “molécule de l’année”, un vedettariat dont on comprendra
mieux les raisons d’ici la fin de ce chapitre.

Published inTerre & Eau, Air & Feu