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Impressions d’un passant à Liège

Dépossession

La langue wallonne est d’origine germanique, comme le picard, un parler apparenté. Elle résiste depuis des siècles à la pression du français, qui la contamine un peu. Ce fait de langue détermine le caractère liégeois. Outre une mauvaise maîtrise de la langue maternelle, ce peuple, assis entre les deux chaises de la Principauté d’Empire et de l’appartenance à la République du grand pays du Sud, a été chercher en Sicile sa représentation symbolique: les marionnettes siciliennes, contant les prouesses de l’empereur à la barbe fleurie (Charlemagne est né à Herstal, l’un des faubourgs actuels de Liège), se sont augmentées de Tchantchès, le héros liégeois, par essence le rebelle.

Le liégeois est en effet germanique d’aspect physique, et des traits superficiels de caractère que sont discipline et obéissance. Mais, sous cette écorce on ne peut plus trompeuse, la réalité profonde est celle d’un fier Latin, individualiste forcené, râleur et contestataire, volontiers anarchiste.

La fierté est le trait dominant, fierté d’être wallon, fierté d’être liégeois, d’appartenir à cette ville unique, conçue comme le centre du monde civilisé. Liège est, à ce titre, sœur de la Vienne de Robert Musil. Le complexe principautaire est une clé évidente du caractère liégeois, de comportements bizarres pour un étranger et que donc l’histoire, un passé glorieux, seule vient justifier.

Mais revenons à cette mauvaise maîtrise de la langue maternelle, bifide c’est le cas de le dire. Elle explique bien des comportements. Selon un dicton wallon, vâl mî di s’taire qui dè mâ pârlér. «Il vaut mieux se taire que de courir le risque d’une parole hors de propos.» Le Liégeois est ainsi fait qu’il admire, très sincèrement, les beaux parleurs (il s’en méfie, certes). Il a un cheveu sur la langue. Son manque d’habileté linguistique lui pèse. Il aimerait s’exprimer en français avec élégance, drôlerie et de manière imagée—toutes qualités qui sont celles de la langue wallonne. Mais il intériorise sa prétendue inférioroité ou infirmité linguistique d’une façon si contraignante qu’il en devient, quasiment, muet.

A l’école ou à l’université, cela rend le wallon passif devant le personnage qui parle français, là-bas sur la chaire, et dont il ne comprend qu’imparfaitement le langage. Il l’admire, sans trop le comprendre. Il ne parvient pas à l’émuler. L’outil analytique de la langue ne lui a pas été donné, dans sa famille ou à l’école primaire. Il en reste maladroit d’expression, écrite ou orale. Cette mauvaise maîtrise du français, langue maternelle, par des jeunes dont les grands parents parlaient encore le wallon, est l’une des principales causes d’échec des étudiants à l’université de Liège, encore aujourd’hui.

En son temps, elle fut notée par l’observateur si scrupuleux que fut Henri Michaux, qui se sentait invalide en français, de ce que le wallon avait été sa langue maternelle. [viii]

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