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Impressions d’un passant à Liège

Liège la bourgeoise

Les nantis, ç’est-à-dire les bien-nés. Liège s’enorgueillit de ses racines populaires, mais la bourgeoisie y est reine. Cela se perçoit à mille signes, les banques d’affaires, les anciens hotels particuliers, le public des concerts du Conservatoire, les restaurants chics et à la mode, les coiffeurs et les tailleurs, les antiquaires et les magasins vendant des fourrures, les patisseries snobs et leur clientèle de dames prenant le thé… Cette bourgeoisie, très XVIIIe siècle, fait toujours éduquer ses enfants chez les Jésuites, et s’habille à la Britannique, les hommes surtout afin de se démarquer de manière bien visible, de la petite bourgeoisie surtout, et de son uniforme à base de manteau de loden. Cette bonne société liégeoise, dont l’endogamie est le mode de reproduction préféré, copie conforme du Paris 1925, a ses clubs, tels que l’Automobile Club ou le Golf du Sart-Tilman, ses toilettes, on l’a déjà dit, ses voitures de luxe, le tennis comme sport privilégié, et se donne un profil très discret. La plupart de ses réunions se tiennent dans des salons affectés à ces fonctions, pérennes puisqu’ils datent souvent de l’époque de Marcel Proust, la Société d’Emulation par exemple. Les weekends au littoral, à Knokke entre autres, ceux dans une résidence secondaire en Ardenne, les vacances plus longues dans telle station de ski des Alpes ou telle villégiature de la Riviéra, permettent aussi de se retrouver entre gens du même milieu. La voiture et le chien font partie de l’habillement, l’une non ostentatoire (d’où la vogue des Mercédès), et l’autre compensatoire et donc plutôt de lignées peu usitées, retriever doré par exemple.

On est volontiers franc-maçon dans les milieux liégeois de nantis. Et on affectionne l’appartenance à tout réseau influent, redevable autrefois de l’Evéché ou de la Loge, aujourd’hui du Rotary et du Lions, ainsi que de ces multiples sociétés dont l’objectif avoué est la réindustrialisation de la Wallonie, mais dont la vraie fonction est le rassemblement de notables.

Qui sont ces derniers? Les héritiers des grosses fortunes d’antan, foncières ou industrielles; une bourgeoisie d’affaires, banques et assurances ; des professions libérales, avocats, médecins, chirurgiens, dentistes, … ; des commerçants aisés; et des professeurs d’université.

Ceux-ci, qu’on ne trouve le plus souvent qu’en uniforme, le costume trois-pièces gris, ont en charge un rôle social précis, la reproduction à l’identique. Nommés dans leurs fonctions après une procédure, souterraine pour l’essentielle, et dont des composantes majeures sont d’exclure les candidatures hors-Principauté, et le népotisme, leur réputation leur vient de leur seule aptitude «à bien donner cours.» Y participe, pour une part essentielle, leur comportement lors de la cérémonie rituelle, deux fois l’an, des examens. Les impétrants s’y présentent, en beau costume et bien coiffés, et, satisfaisant au même fétichisme d’un langage aisé et châtié, débobinent pour le Maître ses propres discours, sténographiés en un recueil polycopié, qu’ils ont appris par cœur sans trop s’attacher à en tirer, pour eux-même une heuristique ou d’autres outils de pensée.

D’autre part, les stratégies familiales en matière matrimoniale visent davantage une endogamie élargie à l’ensemble de la Belgique francophone, un si petit pays, que restreinte à quelques douzaines de familles liégeoises. Car l’élite de la jeune génération liégeoise ne se retrouve pas, ou très peu, sur les bancs de l’université de Liège. Les nantis de la Province, pénétrés qu’ils sont de patrimoine, y compris en matière intellectuelle, expédient plus volontiers leurs rejetons étudier à Louvain. L’université catholique est l’une des plus anciennes au monde, elle est connue dans le monde entier. Celle de Liège est plus confidentielle.

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